Concours d’éloquence 2023 – Discours du second tour

Sujet : Le serment d’avocat a-t-il une bonne taille ?

« Madame le Bâtonnier en exercice,

Messieurs les Bâtonniers,

Madame le Président du jury,

Mes chers confrères,

Vous m’avez fait l’honneur de me permettre de franchir le cap du premier tour de ce concours d’éloquence.

Pour ce second tour, vous avez eu la délicate attention de nous imposer un sujet libre.

Une délicatesse confraternelle teintée de malice et saupoudrée d’ambivalence, la liberté peut être un écrin de soie masquant des épines.

Bel embarras que d’être l’architecte de son succès ou de son échec dans le cadre de cette manche de la Conférence Nationale du Grand Serment qui s’apparente à la section « vieux barreau » de la compétition oratoire.

« Vieux barreau » ne signifie aucunement « sage barreau ».

La sagesse des plus anciens est un mythe, et « ce n’est pas plus sages qu’ils deviennent, c’est plus prudents » constatait Ernest Hemingway.

Alors que déclamer par prudence pour satisfaire mon barreau ?

En conscience, j’avais envisagé d’assurer la défense d’Emmanuel Macron dans un procès fictif pour ses macronades contre une association de préservation des chômeurs non-vaccinés fumeurs de gauloises.

« Macronade » est ce néologisme politique pour ironiser sur les fulgurances de notre monarque jupitérien.

On y trouve en vrac sans que cette liste ne soit exhaustive :

« Je traverse la rue et je vous trouve un travail ».

« Les non-vaccinés, j’ai envie de les emmerder ».

« Ces gaulois réfractaires aux changements ».

Par prudence et indépendance, j’y ai renoncé… trop politique et trop sérieux.

En conscience, j’avais ensuite envisagé d’assurer la défense de Donald Trump contre une dénommée Madame Daniels dans un procès médiatique pour une affaire d’extorsion de fonds dans l’univers pornographique.

Par prudence et probité, j’y ai renoncé…trop politique et trop vicieux.

En conscience, j’avais enfin envisagé d’assurer la défense de Marlène Schiappa contre le reste du gouvernement d’Elisabeth Borne dans un procès parodique pour des photos monnayées dans PLAYBOY sous prétexte d’améliorer les droits des minorités.

L’actualité récente m’a suggéré le ministre Bruno Le Maire pour client en raison de la publication de sa dernière sortie littéraire érotico-historique.

Par prudence et humanité, j’y ai renoncé…trop politique et trop laborieux.

J’étais dans une impasse. Que décider pour procurer du plaisir à mes pairs ?

Par prudence, j’en suis venu à choisir :

LE SERMENT D’AVOCAT A-T-IL UNE BONNE TAILLE ?

Vous vous dites sûrement :

« Mais qu’a-t-il « phallus » pour en arriver là ? »

Je corrige si vous me l’autorisez « mais qu’a-t-il fallu pour en arriver là ? »

Et oui, j’entends déjà vous interroger sur l’état du cheminement intellectuel que j’ai dû parcourir pour formuler cette question existentielle.

En cours de déontologie, un vigoureux Bâtonnier nous rappelait l’érection de la maxime suivante en norme cardinale « en cas d’égarement, l’avocat doit inévitablement revenir aux fondements, il s’agit du règlement intérieur national ».

J’étais perdu.

J’ai donc logiquement transposé cette boussole, cet adage à mon cas d’espèce.

Je suis ainsi remonté à la source de notre profession, l’incontournable RIN, et à l’origine de la présente convocation soit le règlement du concours de la Conférence Nationale pour chercher matières afin de remédier à mon agitation bouyonnante.

A la suite d’une relecture approfondie, les notions qui ont les plus nombreuses occurrences sont « le serment » et « le grand serment ».

Je connaissais bien évidemment le petit serment de l’élève-avocat et le serment de l’avocat.

En participant au présent concours, le concept de grand serment placé sous l’égide de la Confrérie de Bâtonniers m’a été révélé.

En bref, les défenseurs-conseils que nous sommes navigueraient entre les vagues du petit serment, du serment et du grand serment.

Ce nouveau triptyque a suscité en moi une problématique qui préoccupe les confrères qui ne portent pas de robe en dehors des prétoires.

Il s’agit de cet insurmontable mythe, de cette légende urbaine qui circule dans les couloirs des centres de formation :

Entre l’élève-avocat, l’avocat et le Bâtonnier, qui a le plus grand ?

En conscience, j’avais envisagé cette phrase en énoncé pour mon épreuve.

Par prudence et dignité, j’y ai renoncé…. trop racoleur.

Ce second tour est malgré cela l’occasion d’aborder un sujet tabou à savoir le fameux complexe du vestiaire et cette impénétrable énigme :

  • La taille compte-t-elle vraiment ?

Je vise bien évidemment la dimension du serment et le vestiaire de l’Ordre des Avocats du Barreau de Grasse qui est un lieu où l’auxiliaire de justice reste, sauf erreur de ma part, en toutes circonstances, habillé.

Chers membres du jury, vous vous dites certainement « tout « SEXplique ».

Laissez-moi modifier en « tout est clair dans votre esprit » pour éviter tout jeu de mots hasardeux.

Vous avez désormais accès à ma carte mentale, celle qui a présidé à la tentative de résolution de ce mystère insondable :

LE SERMENT D’AVOCAT A-T-IL UNE BONNE TAILLE ?

Pour rester dans la sphère intime, je vous révèle que depuis le début de mes investigations, GOOGLE par la magie algorithmique me notifie des publicités pour des extenseurs de pénis et m’ouvre des fenêtres « poppers », pardon, je rectifie « des fenêtres pop-up » vers des liens intitulés « Le code pine a changé » ou « Bonus, malus, phallus » ou encore « Vive la burne out ».

Fermons cette parenthèse dommage collatéral que j’assume et revenons à ce curieux questionnement qui nous offre une étonnante mélodie rhétorique :

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le serment : le vrai, le faux, le laid, le beau, le dur, le mou et même celui qui a un long texte !

Vous saurez « quel est ce monstre sacré qui a donc tant de pouvoir » bien qu’« afin de nous ôter nos complexes », on nous a auparavant donné des cours sur le serment à l’école des avocats.

Et comme tout élève, en citant le chanteur Renaud après avoir détourné Pierre Perret, vous chantonnez que « si j’dois m’avaler tout ça, alors j’dis halte à tout ».

Tel un jeune enfant impatient qui demande « explique-moi papa, c’est quand qu’on va où ? », je vous sollicite en ces termes :

Expliquez-moi, c’est quoi en avoir un petit ?

Un parent Bâtonnier répondrait la chose suivante :

  • Le serment était petit à la date où l’avocat devait jurer sur les Evangiles de ne rien négliger pour la défense de son client.
  • Le serment était petit malgré une cérémonie qui se déroulait sous les boiseries de la Cour d’Appel de Paris avec l’hermine, l’or pendant que le 1er Président donnait lecture de la rédaction suivante :

« Je jure de ne rien dire ou publier comme défenseur ou conseil, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat, à la paix publique ».

  • Mes chers confrères, la taille a augmenté pour les nouvelles générations dès le moment du serment Badinter puis en 1990, dès l’instant où les avocats sont dispensés de toute forme de respect dû aux Tribunaux, voire à l’Etat lui-même.

En substance, notre serment est devenu grand, mature quand il a mis fin à toute forme d’allégeance.

Notre serment est rentré dans l’âge adulte lorsqu’il a consacré un avocat libre et responsable, lorsqu’il nous a libérés de toutes servitudes religieuses, politiques, judiciaires.

La mue est-elle achevée ?

Les mots sont précis et le serment demeure un acte religieux par lequel le récipiendaire s’exprimant par « je jure », prend la divinité à témoin de la gravité et de la solennité de sa promesse.

Par le jurement, on confirme un dire, par le serment, on s’engage à dire ou à faire.  Le diable se cache dans les détails.

De plus fort, dans un Etat laïc, le verbe « jurer » est inapproprié.

Néanmoins, il faut se remémorer le Serment du Jeu de Paume qui a irrémédiablement sacralisé le lien entre la Nation et la Constitution qui toutefois ne prévoit aucun serment.

Le Président de la République, en personne, ne donne pas serment le jour de son investiture officielle.

En 2023, l’avocat ne jure ni devant Dieu, ni sur la Bible. Pourquoi pérenniser la formule elliptique, tranchante de « je le jure » ?

Un serment républicain suppose l’emploi d’une autre parole :

« Je m’engage par serment » ?

« J’assure par serment » ?

Dépassons ces observations sémantiques étant donné que le sujet appelle une autre question davantage pertinente :

La stature et l’excellence du déclarant priment-elles sur la lettre du serment ?

Le serment peut-il sauver la putréfaction humaine où pullulent personnes de maigres intentions qui vont jurer pour obtenir ce à quoi elles aspirent mais vont parjurer aussitôt leur intérêt épuisé ?

En effet, un serment ne peut inciter confiance qu’à la lumière de la moralité de celui qui le déclare.

Il ne peut y avoir de serment véritable sans grandeur d’homme derrière la bouche qui le récite.

Le projet n’est pas, à l’instar du malade imaginaire qui prête serment pour être reçu docteur, de brailler sans conviction, sans sincérité « je le jure ».

D’ailleurs, pour l’anecdote, c’est en récitant sur scène cet incontournable « juro » que Molière fut ravagé par des convulsions mortelles. Sans doute, une punition pour ne pas avoir juré avec zèle ?

A l’opposé, pour le vertueux, le parfait serment, c’est de n’en point faire parce qu’il est offensant pour l’homme sage.

La juste taille du serment serait-elle ainsi la dimension zéro ?

Je maintiens de répondre par la négative.

La norme de droit diminuée de la valeur des protagonistes qui l’appliquent, n’est rien.

C’est précisément cette qualité que le serment vient accomplir chez l’avocat qui œuvre pour garantir le respect des règles communes.

Le vernis intertextuel entre le droit et la morale qui enveloppe notre serment nous place dans un état fébrile de rumination afin de nous faire progresser sur le chemin de la citoyenneté.

Besoin social, la finalité du rite du serment est un don de foi sur la fiabilité des institutions envers les justiciables.

Le serment doit également perdurer puisque pour l’avocat, il est un engagement promissoire qui établit des fraternités.

Il n’est pas un serment d’hypocrite, il constitue un acte de solidarité qui nous oblige.

Le serment est cette insoupçonnable jonction entre le temporel et l’intemporel, entre le profane et le sacré. Il n’en existe ni petit ni grand.

Le cœur de la réflexion n’est pas d’enquêter sur sa bonne mesure.

Le nœud gordien est de savoir que la compréhension sermentielle se forge sur une période longue qui est marquée par de profondes peines, contraintes et désillusions.

Ainsi va la vie des avocats, quelques joies et victoires très vite confrontées à d’inoubliables défaites et chagrins.

Il n’est pas nécessaire de le raconter aux jeunes confrères.

Pourtant, sermenter nourrit rarement des vocations que l’on abandonne.

Il s’agit pour l’impétrant d’engager un voyage intensément insaisissable et graduellement jouissif avant d’atteindre la destination de l’homme de bien.

Chers tous, le 5 janvier 2011, j’ai eu le privilège de sceller serment mais en version courte avec le simplificateur « je le jure ».

Par amour pour sa moitié, il existe le renouvellement des vœux du mariage et en ce jour du 3 mai 2023, par amour pour mon métier, je désire renouveler mes vœux de serment professionnel en version grande.

Madame le Bâtonnier en exercice,

Messieurs les Bâtonniers,

Madame le Président du jury,

Mes chers confrères :

« Je jure comme avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité« .

Je vous remercie pour votre écoute attentive et bienveillante. »